Résumé
 La compréhension des enjeux esthétiques, culturels et idéologiques          des musiques amplifiées passe par la prise en compte des réseaux          signifiants s’établissant entre les chansons, les genres          musicaux et les instances diverses de la culture contemporaine :          ils conforment l'intertextualité des musiques populaires. Ceci          est particulièrement vrai dans le cas du hip hop, une musique hautement          intertextuelle sur le plan musical/sonore et sur le plan linguistique/discursif.          Cet article se propose notamment d’explorer ces réseaux dans          le rap français ; pour ce faire, on présentera premièrement          la notion d’intertextualité en musique comme cadre théorique          du travail ; deuxièmement, on décrira le sampling comme          l’ethos de l’intertextualité sonore du rap et, troisièmement,          on parcourra les mécanismes de l’intertextualité discursive.          
 
 Mots clés: intertextualité, hip hop, rap          français, sample, citation, dérivation, reprise.
Abstract
 This article aims to explore sonic and discursive intertextuality in hip          hop, focusing on French old school. First, it will present the concept          of intertextuality in music as theoretical frame. Second, it will describe            sampling as the ethos of the sonic intertextuality in rap music. And third,          it will analyse the mechanisms of discursive intertextuality. Indeed,          in order to understand popular music and especially hip hop, we need to          take into account the intertextual networks established amongst rap songs          as long as their relations with the realm of popular music and other instances          of contemporary culture.
 
 Keywords: intertextuality, hip hop, French rap, sample,          quotation, derivation, version.
Introduction
 
 Pourquoi parler d’intertextualité dans un dossier consacré          aux nouvelles technologies en musique ? Tout simplement, parce que          ce sont ces progrès technologiques qui ont favorisé le développement          d’une intertextualité musicale extrême, notamment dans          la musique hip hop.
 
 Appliquer la notion d’intertextualité à l’analyse          de la musique n’est certes pas une nouveauté. De l’étude          traditionnelle des influences dans la musique savante jusqu’aux          approches ouvertement intertextuelles (Lacasse 2008 ; Klein 2004 ;          López Cano 2005 et 2007), lorsque la musique est conçue          comme un système sémiologique, indépendamment de          l’étiquette théorique que l’on décide          d’y appliquer, il s’impose d’effectuer une analyse synchronique          et diachronique des rapports signifiants entre les différents systèmes          et les différents textes, de nature homogène et hétérogène,          contribuant à la construction du sens dans les œuvres concrètes.          Or, à ma connaissance, il n’existe pas de travaux systématiques          sur l’intertextualité dans la musique hip hop, et notamment          dans le hip hop français old school. S’il semble          logique et nécessaire d’appliquer une telle analyse à          cette musique, c’est bien parce que, aussi bien sur le plan sonore          que sur le plan discursif, le rap fait preuve ostensible d’une esthétique          intertextuelle. En effet, il s’agit d’une musique électronique          à part entière, composée à base de samples ou échantillons, soit des emprunts de sons préenregistrés,          des intertextes sonores coupés, hachés, rallongés,          déconstruits, puis mixés et remixés à volonté.          En ce qui concerne les paroles, centrales au rap old school,          elles sont le résultat d’un assemblage hétéroclite          où les discours de l’art élevé côtoient          le familier, le médiatique, le politique ou le publicitaire. La          haute teneur intertextuelle de la chanson française, catégorie          dans laquelle s’inscrit le rap, a déjà été          mise en avant par Paul Garapon pour qui " la chanson française          d’aujourd’hui ne cesse de citer la chanson d’hier, de          se situer par rapport à elle " (Garapon 1999 :          107). Or, le rap pousse l’intertextualité plus avant en s’appropriant          non seulement les éléments appartenant à sa propre          esthétique ou à sa propre tradition, où les éléments          afro-américains sont priorisés par rapport aux éléments          français ou francophones, mais aussi en ouvrant le " réservoir "          de ses intertextes à l’espace culturel contemporain :          médias, cinéma, publicité, BD, politique...
 
 Ainsi, la compréhension des enjeux esthétiques, culturels          et idéologiques des musiques amplifiées et notamment du          hip hop passe par la prise en compte des réseaux intertextuels          entre le rap, les autres musiques amplifiées et les instances diverses          de la culture contemporaine. Dans ce but, la notion d’intertextualité          en musique sera présentée en premier comme cadre théorique          du travail ; deuxièmement, le sampling sera décrit comme          l’ethos de l’intertextualité sonore du rap, pour, finalement,          explorer les mécanismes de l’intertextualité discursive.          En raison de l’abondance et de la variété de la production          de hip hop France, et bien sûr des limites du présent travail,          je n’entends pas ici réaliser une analyse exhaustive, mais          plutôt donner un aperçu des mécanismes de l’intertextualité          à partir de quelques exemples représentatifs, notamment          dans les groupes de la old school française. 
 
 1. L’intertextualité dans les musiques amplifiées
 Trait constitutif de la littérarité, l’intertextualité          représente également un outil d’analyse extrêmement          riche des textes dits littéraires. Introduite par Kristeva (1969)          en tant que développement du concept de dialogisme de Bakhtin (1978),          la notion d’intertextualité a permis à la critique          et à la poétique poststructuraliste non seulement d’inclure          le(s) contexte(s) dans la littérature en tant que participant du          dialogue établi entre le texte et le hors-texte (le monde étant          une construction textuelle, le hors-texte un autre texte), mais aussi          de dépasser une conception linéaire et évolutive          des phénomènes littéraires et culturels pour proposer          à sa place une représentation spatiale, à la manière          d’une bibliothèque infinie où les textes, passés,          présents et futurs, coexistent en vertu de leurs relations intertextuelles          (Rabeau 2002). Barthes (1973), dans sa définition de " Texte "          pour l’Encyclopaedia Universalis en vient à affirmer          que : 
 
 " Tout texte est un intertexte ; d’autres textes          sont présents en lui, à des niveaux variables, sous des          formes plus ou moins reconnaissables : les textes de la culture antérieure          et ceux de la culture environnante ; tout texte est un tissu nouveau          de citations révolues […] L’intertextualité,          condition de tout texte, quel qu’il soit, ne se réduit évidemment          pas à un problème de sources ou d’influence […]Épistémologiquement,          le concept d’intertexte est ce qui apporte à la théorie          du texte le volume de la socialité: c’est tout le langage,          antérieur et contemporain, qui vient au texte, non selon la voie          d’une filiation repérable, d’une imitation volontaire,          mais selon celle d’une dissémination – image qui assure          au texte le statut, non d’une reproduction, mais d’une productivité.".          
 
 Sont donc dépassées les notions d’influence ou de          source, d’originalité et d’imitation dans une conception          non binaire, élargie, selon laquelle l’auteur, le lecteur,          la réalité, la signifiance, le passé, le présent          et l’avenir participent en tant qu’interlocuteurs inexcusables          du dialogue littéraire. Dans l’immense tissu des intertextes,          les modalités relationnelles sont vastes, complexes, mouvantes.          Pour Genette (1982), l’intertextualité serait restreinte          aux relations de coprésence ou d’inclusion entre deux textes,          alors que l’hypertextualité comprendrait l’ensemble          des différentes relations de dérivation (par imitation ou          transformation) entre les textes. Or, au-delà des discussions terminologiques,          l’inclusion et la dérivation constitueraient donc les deux          grands régimes de l’intertextualité – ce que          Genette dénomme transtextualité. 
 
 L’un des modes les plus évidents de l’intertextualité          est la citation, amplement étudie par Antoine Compagnon dans La          seconde main ou le travail de la citation (1979). En littérature,          la citation est une relation d’inclusion, de " coprésence ",          définie à son tour par Genette comme " la présence          effective d’un texte dans un autre " (Genette 1982 :          8). La citation (avec ou sans guillemets) constituerait la forme d’inclusion          la plus explicite aux côtés du plagiat, qui n’est qu’une          citation non avouée. Pour sa part, la référence " n’expose          pas le texte cité, mais y renvoie par un titre, un nom d’auteur,          de personnage ou l’exposé d’une situation spécifique.          " (Samoyault 2005 : 35). L’allusion, moins explicite,          désignerait le rapport entre deux textes A et B en vertu duquel          la compréhension du texte B serait impossible sans la prise en          compte du texte A (Genette 1982 :8). Samoyault, au contraire, considère          que " l’allusion dépend plus de l’effet          de lecture que les autres pratiques intertextuelles : tout en pouvant          ne pas être lue, elle peut aussi l’être là où          elle n’est pas. La perception de l’allusion est souvent subjective          et son dévoilement rarement nécessaire à la compréhension          du texte. " (Samoyault 2005 :36). 
 
 Dans le domaine des musiques amplifiées – musiques populaires          contemporaines, musiques actuelles – et notamment dans les chansons          (espace privilégié où s’unissent musique, paroles          et performance), il est possible, à mon sens, d’appliquer          la notion d’intertextualité ; en effet, la chanson est,          elle aussi, un texte (entendu ici comme unité sémiologique          de communication pourvue de sens, sur le plan social, économique,          idéologique et esthétique) qui entre en relation avec d’autres          textes, musicaux ou non-musicaux. Dans cette perspective, il ne s’agit          donc pas d’étudier les influences ou les sources utilisées          pour créer telle ou telle œuvre, mais de concevoir les musiques          amplifiées et notamment la chanson comme un terrain intertextuel          où l’inclusion et la dérivation constitueraient des          modes de relation essentiels entre ces textes, indispensables d’ailleurs          pour la compréhension des flux musicaux. 
 
 Dans les chansons, il est fréquent de retrouver les différentes          modalités d’inclusion ou de coprésence, dont la citation,          dans leurs formes discursives et musicales. En voici quelques exemples,          trouvés au hasard de l’écoute, un matin comme un autre,          de la radio sur Internet (radio FIP) : le premier, c’est le          thème du film de Woody Allen Vicky Christina Barcelona,          du groupe Giulia y los Tellarini. Je discerne des voix masculines chantant          " Ella tiene poder (elle est puissante) ",          le refrain de " Gitana Hechicera (gitane ensorceleuse) ",          composée par le roi de la rumba, Peret, à l’occasion          des Jeux Olympiques de Barcelone en 1992. Puis j’entends " Pépètes ",          du groupe de rap musette Java, et je peux distinguer très nettement          " tu me fais tourner la tête " ainsi que plusieurs          vers, quelque peu modifiés, de " Ne me quitte pas " : " ne          me quitte pas / il y a paraît-il des placements fertiles donnant          plus de blé/ qu’un meilleur avril… ". En          vérifiant les crédits des chansons, nulle part je ne retrouve          les noms de Jacques Brel, Jean Constantin (le parolier de la chanson interprétée          par Piaf) ou Peret. Pourtant, ces chansons ont certainement récupéré          des extraits de musiques et/ou de textes de chansons préenregistrées.          En effet, dans " Gitana Hechicera ", le sample renvoie à la rumba catalane. Assimilée à la culture          populaire des Gitans et des immigrés du Sud de l'Espagne, elle          fait désormais partie de l’identité de Barcelone,          une ville qui veut se construire une image multiculturelle. L’inclusion          de cet extrait (musique et paroles) renforce le catalanisme de la          chanson et ce dans un film réalisé à la plus grande          gloire de Barcelone. Pour sa part, dans " Pépètes ",          la citation de ces deux classiques de la chanson d’amour française          entraîne la reconnaissance et l’hommage à la tradition          musicale populaire nationale et à sa conception du sentiment amoureux.          En comparant ces deux chansons, on constate que bien qu’elles appartiennent          à des styles musicaux totalement différents, elles semblent          avoir, au moins, deux points communs : premièrement, toutes deux          s’inscrivent dans des courants hybrides, fusionnés. En effet,          la rumba catalane est le fruit de la fusion entre la rumba cubaine et          la tradition du flamenco ; pour sa part, le rap musette est, comme son          nom l’indique, une fusion du hip hop, soit une musique afro-américaine          puis mondiale, et des sonorités françaises populaires traditionnelles.          Deuxièmement, dans les deux cas, il existe une inclusion, une citation          d’éléments procédant de chansons préexistantes.          L’intertextualité est donc visible aussi bien dans le " genre "          de chaque chanson que dans les chansons elles-mêmes. Ainsi, le choix          de ces deux intertextes est lourd de sens sur le plan culturel, esthétique          et identitaire.
 
 Or, dans le domaine des musiques populaires il existe également          une opération intertextuelle plus directe, dénommée          " reprise " ou " version ",          et qui consiste en l’appropriation d’un texte – chanson          ou pièce instrumentale –, par un autre artiste ou dans un          contexte différent, et dont la nouvelle interprétation comporte          des modifications à des degrés variables, mais où          l’original reste reconnaissable à tout moment. Tel est le          cas, par exemple, du " Ne me quitte pas " de Yuri          Buenaventura ou des versions de Renaud ou Maxime Le Forestier chantant          Brassens. Les reprises sont aujourd’hui extrêmement abondantes          et leurs objectifs peuvent viser l’hommage, la critique, la dérision,          la contestation, l’opportunité commerciale… La reprise          constitue une opération intertextuelle apparentée, en littérature,          à la traduction et/ou à l’adaptation, soit au régime          intertextuel de la dérivation. Ainsi, lorsque le chanteur colombien          interprète " Ne me quitte pas " – remarquablement,          par ailleurs –, tout en introduisant des changements importants          – rythmes, arrangements et bien sûr, le refrain en espagnol          " ¡ No me dejes ! " – qui lui          confèrent un goût nouveau et actualisé, l’original          reste perceptible à tout moment. Le résultat est bel et          bien la même chanson, mais interprétée par un artiste          différent. Brel serait donc l’auteur original et Buenaventura          son traducteur fidèle, si toutefois l’on accepte la possibilité          de la fidélité absolue en traduction…
 
 Afin d’en limiter son objet, le présent travail abordera          de façon prioritaire les cas de citation, qui dans ce contexte          est définie comme l’appropriation d’un ou plusieurs          éléments appartenant à une œuvre originale dans          la création d’une œuvre nouvelle et ce dans un objectif          précis. Cette définition introduit donc les notions d’auctorialité,          d’originalité et de propriété relatives à          l’élément emprunté ainsi que l’idée          d’intentionnalité explicite. En conséquence, la citation          participe à la création de l’œuvre mais ne se          substitue pas à elle, contribuant donc à la construction          d’une œuvre distincte et nouvelle. Pour sa part, la reprise          continue, avec des modifications, même substantielles, une œuvre          déjà existante. 
 
 Dans cette perspective, l’insertion de l’extrait de " Gitana          Hechicera " dans " Barcelona " et des          mots de Brel et de Piaf dans " Pépètes "          correspond à la catégorie de la citation. Dans " Barcelona ",          chanter Peret relie la ville cosmopolite du film de Woody Allen à          la ville populaire. Quant aux citations dans " Pépètes ",          elles affirment l’identité française du groupe Java          – même si Brel avait la nationalité belge –,          sa volonté de fusionner des traditions différentes et de          rendre hommage explicite à la " chanson française ".          
 
 Il convient également de signaler que les sources de la citation          peuvent être situées à l’intérieur mais          aussi à l’extérieur de domaine musical. Ainsi, du          point de vue des sons, l’appropriation peut porter sur des musiques          (notes et rythmes) mais aussi sur des effets spéciaux ou sur des          extraits sonores de nature hétérogène. L’inclusion          peut par ailleurs s’inspirer d’images, de situations ou d’univers          visuels, mais aussi de tous les composants hétéroclites          du champ culturel (populaire et élevé) : cinéma,          bande dessinée, publicité, mass media, littératures…          En ce qui concerne les citations textuelles, elles peuvent être          tirées d’une autre chanson, mais aussi d’un discours          politique, d’un film, d’une annonce télévisée,          d’un poème. Ces emprunts peuvent être insérés          littéralement ou transformés à des degrés          très différents allant de la citation directe à l’allusion          en passant par la construction d’images complexes à partir          de l’élément original. 
 
 Ainsi, en appliquant la formule d’Antoine Compagnon au domaine musical,          si " toute écriture est collage et glose, citation          et commentaire " (Compagnon 1979 : 32), toute création          l’est aussi, y compris, bien sûr, la musique. L’intertextualité          ainsi entendue crée de nouveaux liens et de nouveaux sens pour          les œuvres, et ce toute temporalité confondue. Reprenant les          exemples précédents, lorsque le public de rap français          écoute " Pépètes ", il ne peut          s’empêcher d’y percevoir aussi bien " Tu          me fais tourner la tête " et son univers de culture populaire          que " Ne me quitte pas " et sa charge de sentiments          amoureux. Parallèlement, grâce à ces emprunts, ces          deux classiques de la chanson sont actualisés, comparés,          redéfinis dans la chanson de Java. Passé, présent          et avenir coexistent donc sur la ligne de l’intertextualité.          En ce qui concerne " Ne me quitte pas", dès que          l’on a écouté la version de Yuri Buenaventura, elle          reste liée pour toujours à la chanson de Brel que l’on          ne peut désormais écouter sans évoquer la version          du Colombien. 
 
 Ces quelques chansons témoignent de la présence de l’intertextualité          dans les musiques amplifiées ; or, s’il est un genre          où l’intertextualité et notamment la citation sont          essentielles, c’est bien le cas du rap. Voyons maintenant comment          cette intertextualité est articulée dans la musique hip          hop, notamment dans les groupes français old school. 
 
 2. Le sampling, à la base de l’intertextualité          du hip hop 
 Dans la musique hip hop, rien n’échappe à l’intertextualité,          en commençant par son principe de composition, qui consiste en          l’appropriation et le remaniement de matériaux sonores préexistants          par des procédés entièrement technologiques, à          savoir : le scratching, le mixing, le sampling ou échantillonnage, le cutting, le looping, le layering et la beat box. Parmi toutes ces techniques, celle          qui caractérise le rap, d’un point de vue musical et conceptuel,          est l’échantillonnage, que Christian Béthune, spécialiste          en la matière, définit comme un:
 
 […] procédé informatique par lequel on prélève          numériquement, à l’aide d’un sampleur ou d’un          ordinateur, une séquence mélodique, un fond rythmique, une          ligne instrumentale, etc., sur un morceau de musique déjà          enregistrée et que l’on rejoue, éventuellement en          les modifiant par des méthodes informatiques de manipulation sonore          au moyen d’un appareil appelé séquenceur, indispensable          complément du sampleur. (Béthune, 1999, 10).
 
 C’est ainsi que dans le rap, musique électronique à          part entière, les procédés de l’intertextualité          musicale (ou encore intermusicalité ou transmusicalité)          sont poussés à l’extrême. En ce sens, et dès          la fin des années 70 jusqu’à nos jours, les technologies          sonores n’ont cessé d’évoluer[1],          offrant des possibilités toujours plus variées et favorisant          l’autoproduction pour la création musicale à partir          d’éléments préexistants[2]. Dans la lignée          inaugurée par Public Enemy ou Ultramagnetic MC’s dans les          années 80, les années 90 ont connu l’apparition de          nouveaux courants dans la composition, caractérisés par          la conceptualisation et l’expérimentation. Ainsi, Entroducing,          de DJ Shadow (1996), a été le premier album composé          entièrement à partir d’échantillons ;          le temps l’a confirmé comme une œuvre fondamentale non          seulement pour le hip hop et l’électronique mais aussi pour          les musiques populaires en général. L’évolution          des technologies favorise l’apparition d’artistes comme DJ          Spookey qui considère que le mixage (entendu ici comme l’assemblage          des samples) constitue le paradigme créateur de notre          temps. En effet, technologiquement et philosophiquement, notre société          serait la société du mouvement digital menant à l’encodage          de tous les composants du réel : 
 
 That’s what mixing is about : creating seamless interpolations          between objects of thought to fabricate a zone of representation in which          the interplay of the one and the many, the original and its double all          come under question. (Miller 2004: 25) (Mixer, c’est créer          des interpolations constantes entre des objets de la pensée pour          fabriquer une zone de représentation où l’interaction          de l’unité et de la multiplicité, de l’original          et son double sont questionnées.)
 
 Dans cette perspective, le DJ assume la condition d’artiste/auteur          qui ne compose plus avec des notes mais avec des samples ;          ainsi, le sampleur, les platines, la beat box ou l’ordinateur portable          ne sont pas des machines à sons mais des instruments à part          entière (During 2008 : 53). La culture du Disc Jockey hip          hop est la culture de l’appropriation consciente, une culture en          mouvement, se développant dans le courant de la créativité,          où les anciens sont récupérés de façon          dynamique par les modernes. Or, les degrés de transformation de          l’élément emprunté sont multiples. Ainsi, dans          Entroducing, les samples sont transformés à tel point qu’ils          ne sont pas reconnaissables et qu’ils sont globalement perçus          comme des sons originaux. DJ Spooky, pour sa part, rend les procédés          du mixage plus visibles, soulignant l’effet de collage, comme dans          " The Duchamp Effect " (Miller 1997). Toutefois, les          références restent souvent encodées et inidentifiables,          dans une stratégie volontaire d’hermétisme, comme          celle décrite par Joseph Glenn Schloss (2004) dans son étude          sur le sample based hip hop. Au contraire, dans le rap old school,          les samples peuvent être incorporés presque littéralement,          sans altérations, comme de véritables citations, ce qui          permet de les reconnaître plus facilement. Aussi bien le hip hop          expérimental que le hip hop old school utilisent des samples intentionnels, avec des objectifs – esthétiques et/ou symboliques          – précis. Or, en raison du caractère plus conceptuel          et de l’absence notoire de textes dans le hip hop instrumental,          les processus et les enjeux de l’encodage semblent mieux appréciables          dans le hip hop " traditionnel ", qui, lui, est          rattaché au réel grâce à la concrétisation          linguistique du sens dans les paroles. 
 
 Les paroles des chansons rap, quant à elles, s’articulent          en fonction de réseaux intertextuels denses et complexes, notamment          dans le hip hop français, où la préoccupation pour          les textes est ostensible. On pourrait classer ces rapports en deux grandes          catégories : d’une part, l’intertextualité          rapologique, c’est-à-dire, celle qui puise ses intertextes          dans la culture hip hop et, d’autre part, l’intertextualité          non-rapologique, soit celle qui est basée sur des intertextes d’origine          hétéroclite. Ainsi, dans la première catégorie,          nous retrouvons toutes les références, allusions et autres          procédés d’inclusion ou de dérivation appartenant          à la culture hip hop, comme ce que nous pouvons dénommer          les " matières rapologiques ", et qui, à          la manière des grands répertoires thématiques classiques,          servent de matière à des nombreuses chansons rap. Tel est          le cas des " égotrips " de tout genre –          issus du signifying afroaméricain –, des variations sur le          thème " fuck the police " ou des          récréations du passé africain. En effet, les rappeurs          old school, se sentant profondément et premièrement          membres de la nation hip hop, c’est la culture hip hop américaine          et donc la tradition afro-américaine, qui constituent leur intertexte          fondamental, leur horizon premier. Quant à l’intertextualité          non-rapologique, elle est aussi vaste que la culture des rappeurs au sens          large du terme : autres musiques populaires – dont la variété          comme cible ou les autres musiques afro-américaines comme référent          positif –, littérature, cinéma, médias, politique...          En définitive, les différentes instances de la culture populaire          contemporaine s’entremêlent dans les textes rap conformant          une toile où la frontière entre texte et hors-texte a tendance          à s’estomper. 
 
 Ainsi, face aux évolutions ultérieures, plus conceptuelles,          la old school française, aussi bien dans ses paroles que          dans ses sons, s’avère être paradigmatique pour l’analyse          des procédés intertextuels. 
 
 a) L’intertextualité sonore 
 Les emprunts du rap old school affichent souvent une volonté          explicite : le public est appelé à reconnaître          les références et à les interpréter dans le          contexte de la chanson. En effet, pour Tricia Rose,
 
 […] sampling in rap is a process of cultural literacy and intertextual          reference. […] In additon to the musical layering and engineering          strategies involved in these soul ressurections, these samples are highlighted,          functioning as a challenge to know these sounds, to make connections between          the lyrical and musical text. It affirms black musical history and locates          these ‘past’ sounds in the ‘present’. (Rose 1984 :          89) (L’échantillonnage dans le rap est un procédé          de référence culturelle et intertextuelle […]. Parallèlement          aux stratégies de superposition et d’ingénierie mises          en œuvre dans ces ressuscitations du soul, ces échantillons          sont mis en avant et fonctionnent comme des défis à l’égard          des nouveaux sons, afin d’établir des connexions entre le          texte musical et les paroles. C’est un procédé qui          affirme l’histoire musicale noire et qui situe ces sons du " passé "          dans le " présent ".) 
 
 Certes, cette affirmation laisse sous-entendre un certain essentialisme          afro-américain (Harkins 2008 : 9), mais elle souligne surtout          l’importance du choix des échantillons dans le processus          de création puisqu’ils sont à la base du tissu identitaire,          culturel et esthétique dans la chanson – même s’ils          ne sont pas toujours politiquement engagés. La centralité          des " black cultural priorities " (Rose 1984 :          75) dans le rap old school est visible dans ses " sources "          afro-américaines, sur le plan musical, esthétique et identitaire,          et dans le choix des samples repris dans le rap old school qui appartiennent          presque systématiquement à la tradition afro-américaine.          C’est pourquoi, comme l’affirme Tricia Rose, l’insertion          de samples puisés dans cette tradition entraîne une prise          de position identitaire qui passe par la récupération et          la légitimation du passé. Les œuvres de la tradition          deviennent le matériel du présent, qui les transforme dans          un objectif précis ; ainsi, à la faveur de l’intertextualité,          " tout texte est susceptible d’être repris, il          n’est pas limité à ce qu’a effectivement écrit          son auteur, mais continue d’être écrit par ceux qui          le citent ou le réécrivent " (Rabeau 2002 :          25). 
 
 La critique[3] a mis en évidence le caractère postmoderne de ces procédés ;          en effet, la technique même du sampling relève de          l’idée de collage, de recyclage. Lorsque le moderne, l’avant-garde,          ne peut aller plus loin, c’est l’attitude postmoderne qui          prend la relève :
 
 La réponse postmoderne au moderne consiste à reconnaître          que le passé, étant donné qu’il ne peut être          détruit parce que sa destruction conduit au silence, doit être          revisité : avec ironie, d’une façon non innocente.          (Eco 1987 : 77)
 
 La notion d’originalité de l’œuvre d’art          est donc dépassée. Les rappeurs effectuent une véritable          vivisection sur la chanson originale. Or, le sample reste rarement          intact et fait l’objet de diverses altérations qui peuvent          entraîner des modifications importantes. A tous les degrés          de transformation, puisque l’œuvre de départ est considérée          comme un " terrain " à samples,          les concepts d’unicité et d’immanence de l’œuvre          originale disparaissent. Toutefois, cette transgression possède          une volonté créatrice : 
 
 En restituant à l’acte de copier sa part propre de créativité,          de jeu et de poésie, la technique de l’échantillonnage,          systématisée par les rappeurs, réhabilite une antique          fascination pour le double. Contre la métaphysique platonicienne          de l’unicité du vrai, l’échantillon morcelle          l’essence, exhibant triomphalement ses fragments comme autant de          parcelles d’une vérité qui aurait fini par imploser.          Et, transgression des transgressions, l’échantillon prélevé,          dupliqué, remanié, trituré, mis en boucle…,          nous enseigne que le fragment de copie trafiqué peut parfois se          montrer d’un intérêt supérieur au modèle          auquel il fait référence. (Béthune 1999 : 56)
 
 Tout comme les notes du musicien traditionnel ou les huiles du peintre,          l’échantillon devient donc l’unité de composition.          Le sampling constitue dès lors une véritable révolution          dans le domaine musical (Katz 2004), mais aussi une subversion des valeurs          traditionnellement associées au grand art, notamment l’originalité,          l’unicité et l’inaltérabilité (Adorno 1941 ;          Benjamin 1939). 
 
 Les enjeux esthétiques, juridiques et donc économiques de          ce tissu d’inclusions plus ou moins explicites sont incontournables.          En effet, si un auteur est le propriétaire non seulement des droits          de vente et d’exploitation de son œuvre – qu’il          peut donc céder à des tiers –, il est aussi son dépositaire          moral. Voilà pourquoi, dans une perspective juridique, " on          peut se demander si une œuvre littéraire [une œuvre artistique          en général] qui reprend tout ou partie d’une œuvre          précédente sans le consentement de son auteur n’es          pas susceptible d’être accusée de contrefaçon "          (Rabeau 2002 : 149). Telle est l’interprétation de l’industrie          musicale à l’égard de l’utilisation des samples, considérés          comme des plagiats, des contrefaçons. Effectivement, si les chansons          composées à partir d’échantillons sont considérées          comme des simples assemblages sans valeur esthétique, leurs auteurs          – jugés comme voleurs – devraient compenser économiquement          les ayants droits des chansons originales. Au contraire, si l’on          sépare le concept de création artistique de la notion d’originalité          absolue, les chansons rap deviennent des œuvres d’art légitimes,          libres donc d’avoir recours aux œuvres du passé. Or,          dans le contexte actuel de réification marchande de tous les biens          culturels, le rap ayant une vocation artistique, mais aussi commerciale          – comme l’ensemble des produits artistiques contemporains          –, il semblerait licite que les propriétaires des droits          d’auteur réclament une contrepartie sur les bénéfices          des rappeurs. Toutefois, justifierait-on si facilement que les ayants          droits d’Esope eurent réclamé leur pourcentage aux          héritiers de La Fontaine – n’oublions pas que depuis          de l’introduction de l’imprimerie, la littérature entre          aussi dans l’ère de la " reproductibilité          technique " ? Si en littérature cette question peut          sembler absurde, en musique, comme le fait remarquer Héctor Fouce          (2005), le traitement de l’intertextualité et donc des droits          d’auteur semble être bien plus problématique. Sur le          plan juridique, l’affaire est tranchée puisque les rappeurs          sont forcés de payer des droits sur leurs samples. Au          contraire, sur le plan esthétique, le dilemme semble loin d’être          résolu. 
 
 A cet égard, dans le contexte américain, Imani Perry, légiste          et experte en hip hop, constate que les procès judiciaires intentés          contre les rappeurs présupposent la nature " non artistique "          du rap, ce qui légitimerait le fait que leur musique ne bénéficie          pas de la protection du Premier Amendement : 
 
 The question of whether hip hop should be categorized as art in the long          term will, of course, prove relevant for First Amandment claims and critiques.          […] The charges of obscenity and copyright violation are philosophically          connected bacause the underlying question remains whether hip hop is allowed          to ocupy the cultural territory of art, and thereby of freedom of expression          and original production. (Perry 2004 : 114) (Déterminer si          le hip hop doit être considéré comme un art sur le          long terme sera essentiel à l’égard des défenseurs          et des détracteurs du Premier Amendement. […] Les accusations          d’obscénité et de violation des droits d’auteur          sont liées philosophiquement, car la question fondamentale est          de savoir si le hip hop est autorisé à occuper le territoire          culturel de l’art et, par conséquent, à jouir du droit          à la liberté d’expression et à la production          originale.)
 
 En ce sens, les compagnies de disques perçoivent indéfectiblement          des droits sur les reprises et, en général, sur les samples les plus reconnaissables, c’est-à-dire, sur les citations          les plus directes repérables prioritairement dans le old school.          Au contraire, dans les nouvelles musiques samplées (trip hop, hip          hop abstrait et autres étiquettes), le problème des droits          d’auteur est moindre, comme l’indique Paul Harkins (2008).
 
 Au-delà des débats passionnants quant à leur légalité,          les inclusions sonores (citations, références, allusions)          créent un tissu de significations s’établissant entre          la tradition musicale et la chanson (musique et texte). Prenons comme          exemple canonique la chanson d’IAM " Tam tam de l’Afrique "          où le groupe de Marseille s’approprie la mélodie de          base de " Pastime Paradise " de Sevie Wonder. Cet          échantillon, très connu et déjà repris par          le rappeur américain Coolio dans " Gangsta Paradise ",          établit premièrement une correspondance avec la musique          afro-américaine ; la mélodie, qui est dès lors          idéologiquement et musicalement marquée, s’accorde          avec l’intention pragmatique du morceau, à savoir, la revendication          de la négritude, la dénonciation de l’histoire honteuse          de l’esclavage et la construction d’une utopie afrocentriste.          Toutefois, le sens du " Pastime paradise " original          est détourné et ce " paradis passé "          devient, contrairement au texte de Stevie Wonder, un véritable          lieu utopique. Ainsi, l’Afrique comme continent mythique et paradis          perdu, l’histoire du peuple noir et le lien identitaire et esthétique          entre le sujet du texte et le patrimoine panafricain sont invoqués          et par le texte et par la musique, car elle-même fait partie de          ce patrimoine. Les enjeux culturels et identitaires de l’insertion          du sample de Stevie Wonder dans la construction du sens sont          évidents ; mais il ne s’agit pas du seul échantillon          à la base de la chanson ; c’est son matériau          musical dans son ensemble qui est " emprunté " ;          dans cette profusion de sons extérieurs qu’il appartient          au DJ de (re)composer, on retrouve une flûte, des vents, des rythmes          électroniques, des chœurs, et notamment une mélodie          de piano et les sons des tam tam. Du point de vue de la structure interne,          les tam tam marquent la fin d’une strophe, la conclusion d’une          tirade épique et le début de la suivante. D’un point          de vue symbolique, ils renvoient à l’Afrique, à l’âge          d’or primitif évoqué par le texte, renforçant          donc la récréation du passé, sa légitimation          et sa revendication. En contant le paradis perdu, symbolisé musicalement          par ces instruments originels, le sujet transforme le mythe du passé          en mythe d’avenir, en utopie. Dans une même volonté          signifiante, le piano sonne au seul moment où le sujet interrompt          sa narration pour s’exprimer à la première personne.          Il s’agit d’un appel à la mémoire, à          la prise de conscience sur les conséquences du passé dans          le présent, identifié musicalement par le piano. Ainsi,          la musique et le texte établissent des stratégies de collaboration/co-opération          dans la création du sens. Dans la chanson qui nous occupe, musique          et paroles s’accordent parfaitement, en équilibre. Par ailleurs,          l’intertextualité concerne l’énoncé linguistique          lui-même ; en effet, le lecteur/auditeur de la chanson retrouvera          probablement les échos des poètes de la négritude.          Que le groupe ait ou n’ait pas connu les textes d’Aimé          Césaire ou de Sédar Senghor n’empêche pas la          reconnaissance de ses intertextes possibles. 
 
 Suivant une même volonté de (re)-construction identitaire,          mais se référant cette fois-ci à l’origine          italienne d’Akhenaton (le leader du groupe IAM), dans " Où          sont les roses ? ", c’est une chanson traditionnelle          napolitaine qui est samplée – notons au passage que les crédits          ne figurent pas sur la pochette du CD. L’inclusion de cet extrait          a pour objectif de (ré)-incorporer le passé dans le présent,          de rappeler, d’invoquer un héritage que les nouveaux " Italiens "          semblent avoir oublié.
 
 Même si la tradition de la chanson française est, en général,          moins appréciée et donc, moins samplée, dans " Nouveau          Western ", MC Solaar reprend l’air de la fameuse " Bonnie          and Clyde " de Serge Gainsbourg comme motif mélodique.          Il existe sûrement une volonté esthétique et commerciale          à la base de ce sample, mais aussi un objectif référentiel,          puisque " Nouveau Western " se veut une critique          des fausses valeurs véhiculées par les films commerciaux          américains. Pour sa part, dans " Harley Davidson ",          IAM reprend le refrain du tube homonyme de Gainsbourg pour tourner en          dérision la fascination, certes ironique, pour the American way          of life dont fait preuve l’original. Dans ces deux cas, tout en          ayant des objectifs sémantiques différents, le choix de          Gainsbourg, enfant terrible de la chanson, comme intertexte musical, révèle          la prédilection du hip hop pour la chanson française non-canonique.
 
 Dans ces quelques exemples, nous pouvons constater que la création          du sens relève en ultime instance du récepteur, qui, en          fonction de son bagage d’intertextes décodera et interprétera          l’œuvre. Un auditeur français ne reconnaîtra pas          les mêmes intertextes qu’un auditeur américain et vice-versa.          En effet, la réception est, on le sait, créatrice ;          or, elle se construit à partir de l’objet extérieur          qu’est la chanson. Ainsi, si la chanson est ostensiblement composée          de citations ou autres procédés intertextuels – toute          catégorie confondue – reconnus par le récepteur, chacune          renverra à d’autres œuvres, d’autres références,          d’autres intertextes variables en fonction de chaque individu. A          la manière de la madeleine proustienne (DeNora 2006), chaque échantillon          déclencherait un intertexte différent, multipliant les lectures/écoutes          possibles de l’œuvre. Dans ce sens, les samples seraient          des déclencheurs sémantiques et symboliques intentionnels          et non pas les preuves d’une absence d’originalité.          Dans les mots de Richard Shusterman, ainsi " est contestée          la dichotomie création / emprunt, comme l’est aussi la division          entre l’artiste créateur et le public récepteur "          (Shusterman 1991 : 193).
 
 b) L’intertextualité discursive 
 Les quelques exemples précédents relèvent d’une          intertextualité premièrement musicale. Or, comme on le disait          plus haut, l’intertextualité dans les paroles est aussi extrêmement          riche. Tel est le cas de " Pépètes "          comme l’attestent ses citations de Brel et de Piaf, mais aussi les          autres référents intertextuels, moins évidents, comme          le topos de Catulle " Odi et amo ", dans les vers          " Je t’aime autant que je te déteste ",          ou comme celui de la beauté éphémère dans          " T'étais fraîche et bien roulée, pépètes,          / Maintenant t'es fade et fardée ". Ainsi, " Pépètes "          est une chanson d’amour – thème rarissime dans le rap          old school –, construite sur des topoi du discours amoureux          traditionnel, actualisés par un style contemporain. Cette récupération          de la tradition dans un moule idiomatique et musical nouveau s’accorde          avec l’identité esthétique du groupe, faite du collage,          du mixage de discours et de sonorités hétérogènes.          Quant à " Où sont les roses ? ",          c’est le " ubi sunt " qui revient, de même          que " les neiges d’antan " de Villon et donc          aussi de Brassens. Reprenant la distinction entre intertextualité          rapologique et intertextualité non-rapologique, ces exemples s’inscrivent          dans la deuxième catégorie. En effet, dès la citation          directe à la simple évocation, la grande culture et la culture          populaire s’intègrent en tant qu’intertextes dans le          rap français. Ainsi, dans " La concubine de l’hémoglobine ",          MC Solaar utilise " Le dormeur du val " de Rimbaud          pour plaider pour le pacifisme ; " Sea, sex and sun "          de Gainsbourg est repris dans " Juste pour le fun "          de NTM ; Assassin cite Piaf dans " La formule secrète " et          s’assimile aussi à La Fontaine en qualité de poète          didactique. Nous voyons donc que la " grande culture "          côtoie la culture populaire, que les barrières entre les          genres discursifs disparaissent. A cet égard, il est intéressant          de noter que les rappeurs s’identifient à la figure classique          du poète, maître de la parole vraie, authentique. Treize          textes parmi un corpus de 150 chansons des groupes les plus représentatifs          de la période old school du rap français – Assassin,          IAM, Ministère AMER, MC Solaar, NTM – contiennent explicitement          le mot " poète ", faisant référence          à la condition du sujet. Les intertextes de la tradition poétique          sont récupérés tout en les pliant aux objectifs pragmatiques          de chaque chanson : dans les mots des rappeurs, le statut du poète          est actualisé : " poètes de l'Alliance afro-asiatique " [4];          " poètes de la planète Mars " ;          [5]; " Poète          terroriste, quelque fois sonoïste " [6];          " poète prodige " [7];          " Impact, généré par le rimeur maniaque          / Éduqué, mentalement, logiquement, normalement […]          /Funky, Fresh, versificateur de qualité "[8].
 
 Les références intertextuelles non-rapologiques s’effectuent          à plusieurs niveaux discursifs, en commençant par les mots,          qui sont créés en (r)ac(c)olant des mots préexistants.          
 
 Façon Caligula on étudiera le Kamasoudrap.[9]
 Stomysanthrope n’est toujours pas myope.[10]
 
 Au niveau de la syntaxe, les vers ont fréquemment recours à          des expressions figées, des proverbes et des idées reçues          dont le sens est détourné :
 
 On me traite de traître quand je traite de la défaite du          silence
 Le silence est d’or, mais j’ai choisi la cadence. [11]
 
 Mon style évolue, jamais révolu,
 influencé par la rue
 abat les bœufs et tracte la charrue.[12]
 
 Le long fleuve tranquille ne coulera plus tranquillement. 
 Après le beau temps, vient la pluie quand on délaisse ses          enfants.
 Dans tous les cas, le sens premier de ces expressions subit une altération          sémantique et symbolique substantielle. 
 
 Les textes peuvent également se réclamer d’imaginaires          hétéroclites grâce à la citation de noms propres,          de marques, de personnages ou de titres de films. Jacques Chirac, George          Bush, Luis Escobar ou Jean-Marie Le Pen sont évoqués directement          et indirectement. Rien n’empêche l’utilisation de noms          commerciaux tels que Harley Davidson, Adelscott, Ray Ban, Marlboro ou          Dunlopillo. En nommant ces personnages et ces marques, en les montrant          du doigt, les chansons rap intègrent la réalité quotidienne,          politique et sociale, dans le domaine artistique. Il en est de même          pour le registre linguistique dominant, un registre relevant de l’oralité,          truffé d’interjections, d’onomatopées, d’expressions          argotiques, un style fortement oralisé. Toutes ces caractéristiques          de la langue du rap contribuent à abattre la distinction entre          l’art et la vie, à relier texte et hors-texte. A cet égard,          il faut rappeler que le hip hop français, du moins le hip hop old          school, affiche une volonté pédagogique évidente          et prétend avoir un impact direct sur la réalité.          L’esthétique hyperréaliste – sujets d’actualité,          registre oral, effets sonores – correspond ainsi à l’objectif          illocutoire, notamment contestataire, des chansons hip hop. Dans la récréation          de cette réalité du vernaculaire et de l’urgence,          les références aux arts populaires sont fréquentes.          Ainsi, dans une critique du gangstérisme du hip hop, MC Solaar          fait allusion à plusieurs univers filmiques, dont Scarface,          Les Incorruptibles, Danse avec les loups, Soldat universel, Vol au-dessus          d’un nid de coucou: 
 
 Al Capone, Baby Face, Scarface roi de l’homicide
 […]
 Alors ne danse pas avec les loups, 
 Tu risques de te retrouver rapidement dans un trou
 T’aurais l’air malin avec du plomb dans la cervelle
 Ça t’apprendrait à jouer au soldat universel
 […] 
 Parce qu’on n’est pas du genre à tendre l’autre          joue 
 Plutôt du style à t’envoyer voler au-dessus d’un          nid de coucou.[14]
 
 Dans une description quelque peu lugubre de la société contemporaine,          la chanson " Nouveau Western ", de MC Solaar, se          construit à partir de références à La          Chevauchée fantastique, La rivière sans retour ou Les sept mercenaires, accompagnées, comme on l’a vu,          par le sample de Gainsbourg. De même, la figure du Predator,          reprise dans les textes de Ministère AMER, donne lieu à          des images fortes et menaçantes renvoyant au film de John McTiernan          et à l’album The Predator, de Ice Cube (" Comme          le prédator, je ne sors que la nuit, cette fois la police est l’ennemie ")[15].          Plusieurs allusions sont faites à la saga de la Guerre des          Étoiles (" je suis de taille Abdulaï Jedi          / la force est avec moi ")[16] ; la situation de Devine qui vient dîner subit un retournement          radical dans " Pas venu en touriste " (Ministère          AMER). Dans tous ces exemples, l’imaginaire filmique est invoqué          pour construire une représentation de la réalité.          En ce sens, le déclenchement sémantique provoqué          par l’allusion passe d’abord par le visuel. Les metteurs en          scène de Hollywood deviennent les Elstir des rappeurs ; les          créateurs des musiques populaires, leurs Vinteuil. Ainsi, la récupération          du hip hop s’étend à des éléments empruntés          aussi bien au domaine du quotidien qu’au domaine artistique, qu’il          s’agisse d’œuvres populaires ou élevées.          
 
 Les procédés intertextuels traduisent souvent une attitude          désacralisante à l’égard des catégories          de l’esthétique idéaliste, à savoir, l’auctorialité,          l’originalité et l’unicité de l’œuvre.          Comme on l’a déjà signalé, cette attitude irrévérente,          postmoderne, est à la base de la création du hip hop ;          parfois elle se fait explicite dans les textes, comme dans " Attentat          II ", d’IAM, qui fonctionne comme une mise en abîme          de l’attitude ironique postmoderne du hip hop. Fictionnalisé          par plusieurs enregistrements qui le caractérisent comme un film          d’action, le texte narre les réactions des protagonistes          à l’occasion d’un vernissage d’art contemporain.          Après avoir attaqué le buffet, les personnages abordent          l’exposition :
 
 Je retraverse la salle pour boire un punch coco
 Quand j'aperçois Chill planté devant un tableau
 Oh, c'est neuf ? Il l'a fait exprès, c'est un objet de culte?
 Vous me ferez signe quand vous l'aurez version adulte
 Car si cette chose est un tableau
 Ma soeur de 10 ans s'appelle Picasso
 Un mec s'est approché et m'a dit "cet auteur a du coeur"
 Ah ouais, un Polonais qui utilise plus de 2 couleurs
 Si je ne me trompe, son style c'est
 Du merdicocubicodébilo gribouillage abstrait
 […]
 Quelque chose m'intrigue à quelques pas de moi
 Il y a un attroupement autour de je ne sais quoi
 Je me rapproche, je jette un oeil "oula, c'est quoi ça?"
 "C'est de l'art, mon cher, au cas où vous ne le sauriez pas"
 Je ne vois pas où il veut en venir c'est pas que c'est moche
 Mais, il l'a peint avec l'oreille gauche?
 Tout le monde me regarde d'un air indigné
 Quoi qu'est-ce qu'il y a c'est pas de ma faute si c'est laid
 Un autre me demande qu'est-ce que tu penses de ce délire
 Je lui ai dit l'auteur abuse des cigarettes qui font rire
 Et j'ai pris du Ketchup dans ma main droite
 J'ai choisi un tableau, bien visé, splash !
 Bien entendu il y a bien eu 5 ou 6 couillons
 Les cheuveux dans le genre Godefroi de Bouillon
 Pour s'extasier devant la tâche "ce peintre est un chef
 Admire la perspective, les couleurs, quel relief 
 […]
 Je fouille dans mes poches, j'en sors un stylo
 Puis m'approche discrètement d'un tableau
 Je regarde autour de moi, bon personne
 le Z de Zorro ouais je cartonne
 Soudain arrivent derrière moi deux crétins cosmiques
 Euh, géniale cette lettre symbolique.[17]
 
 Reprenant à son compte le fameux castigat ridendo mores,          cet attentat caricatural ridiculise le monde de l’art contemporain ;          or, il s’acharne surtout contre la figure du créateur " conceptuel "          et contre son public, mais aussi contre l’idée même          d’œuvre " sacrée ", qui ne mérite          aucun respect et qui peut être transgressée et altérée          impunément. Les objets de l’art dit " élevé "          sont ici récupérés dans un objectif de dérision.          
 
 Quant à l’intertextualité rapologique, elle se nourrit          de la old school américaine et des principes esthétiques          et idéologiques de la culture hip hop. Prenons comme exemple une          des matières rap les plus prégnantes, soit la critique de          la police : inaugurée par le groupe radical NWA (Niggaz With          an Attitude) avec son titre " Fuck the Police "          (Priority Records, 1989), les attaques verbales contre les forces de l’ordre          sont devenues des leitmotivs du rap hardcore. En France, le groupe NTM          sort " Police " en 1993, une chanson très          polémique qui fait référence explicite à l’intertexte          américain : 
 
 Tels sont les rêves que fait la nuit Joey Joe,
 Donne-moi des balles pour la police municipale.
 Donne-moi un flingue […]
 Pour notre part ce ne sera pas ‘fuck the police’,
 mais un spécial Nick Ta Mère de la part de la mère          patrie du vice.
 
 Ces rêveries où les rappeurs se laissent aller à la          violence symbolique contre l’autorité sont également          visibles dans " L’État Assassine "          d’Assassin ou dans " Sacrifice de poulet "          de Ministère AMER : " Comme le prédator,          / je ne sors que la nuit / Cette fois encore la police est l’ennemie... ".          
 
 En rapport avec cette critique contre l’autorité, l’égotrip,          entendu comme défi hyperbolique et violent d’un sujet –          " je " ou " nous " –          contre l’Autre, qu’il s’agisse d’un rappeur, d’un          homme politique ou du Pouvoir, constitue également un topos rapologique          prégnant, qui puise ses origines dans la tradition afroaméricaine          des dirty dozens (Rose 1994 ; Béthune 1999 ;          Lapassade et Rousselot 1996 ; Marc Martínez 2008). Les rappeurs          français s’approprient cette " matière "          de rap et la réélaborent à leur façon. Ainsi          NTM, déjà dans son nom, " Nick Ta Mère ",          traduit l’omniprésent " motherfucker ",          l’insulte paradigmatique, même si dé-lexicalisée,          de la communauté afro-américaine. Dans de nombreux textes          old school, cette attitude agonistique se traduit par des provocations          obscènes ou violentes : 
 
 Encore une ascension, une nouvelle accession 
 Suprême NTM encore et toujours en action 
 Devant toi je suis bien je monte et j'aime ça 
 Quant à toi, toi là-bas, toi qui m'écoutes 
 Je retire de ton crâne maintenant le dernier doute 
 Bois mes paroles et retiens-les bien 
 Car je détiens enfin dans mes mains 
 La solution pour guérir tes maux de tête je t'envoie ma potion          
 C'est une potion anale 
 Elle est fatale, elle fait mal 
 Écarte donc ton trou de balle 
 Mon nom est Shen, inventeur de la sodomie verbale… 
 (NTM 1991, " C’est clair ") 
 
 Ou encore : 
 Ca y est ! Les fréquences de ma voix vacillent dans l'atmosphère.          
 Ma seule patrie est mon posse qui part en guerre. 
 Lourde est l'attitude de ce nouveau chapitre, 
 Le putain d'artiste au poids politique et l'Académie Mythique 
 Ne pourront jamais être stoppés dans leur ascension : 
 Ni le fléau médiatique, ni les partis politiques n'arrêteront          cette putain de production.
 (Assassin 1993, " Kique ta merde ").
 
 L’égotrip et la critique de la police sont des topoi rapologiques parmi bien d’autres qui nous permettent d’affirmer          que les lieux communs du rap – dans l’espace glocal du hip          hop (Potter 1995) – peuvent être interprétés          comme des références intertextuelles qui relient les textes          à l’esthétique rap, les situant les uns par rapport          aux autres, comme les variations se situant par rapport aux modèles.          En définitive, il est possible d’affirmer que l’intertextualité          discursive, rapologique ou non-rapologique, au même titre que l’intertextualité          sonore, est constitutive de l’esthétique rap. 
 
 Conclusions
 L’intertextualité imprègne le hip hop français          dans ses composantes musicales, discursives, esthétiques et symboliques.          Le résultat est un genre qui met en évidence ses propres          procédés de création / fabrication ; un genre          où un artisan digital crée à partir d’éléments          recyclés. A l’ère du recyclage comme utopie politique          et environnementale, le hip hop devient un des paradigmes esthétiques          de la société de la récupération. 
 
 Nous avons vu à quel point les procédés intertextuels          sont déterminants dans le hip hop. Or, il semble bien que les musiques          actuelles sans exceptions assument l’intertextualité/ intermusicalité          / transmusicalité comme facteur de création. D’un          part, parce que les reprises/versions constituent un pourcentage important          de la production musicale actuelle (dérivation intertextuelle).          D’autre part, et notamment, parce que tous les genres, du rock plus          indépendant au rap canonique, se font l’écho d’autres          musiques préenregistrées, dans leur mélodie, leur          interprétation, leur style, dans les sujets qu’ils traitent          ou dans leurs attitudes vis-à-vis de leur public (inclusion intertextuelle).          Le champ musical contemporain est intertextuel comme l’est le champ          littéraire. Il importe donc de s’interroger sur ces phénomènes :          quelle est la part de l’originalité, des inclusions et des          dérivations dans chacun des genres, des auteurs, des chansons ?          Quels sont les rapports entre les anciens et les modernes aujourd’hui ?          Quels sont les effets produits à partir du dialogue s’établissant          entre eux ? Qu’évoque la reprise d’un riff, d’un          solo de guitare, d’une intonation de la voix ou d’une attitude          sur scène ? Ce dialogue est le déclencheur de la mémoire,          sonore, visuelle, esthétique et émotionnelle ; les          réseaux d’évocations s’activent et la réception          devient un acte de reconstitution créative sur le plan sonore et          symbolique. Le plaisir de l’écoute est, en effet, basé          sur la reconnaissance de la répétition des rythmes de la          chanson (Middleton 2006), mais également sur la reconnaissance          des d’éléments récupérés. Les          paroles, leurs intertextes – autres chansons, autres discours –          possèdent aussi une importance majeure. En effet, les chansons          récupèrent des thèmes, des formes et des styles,          dans un échange constant avec les œuvres du passé mais          aussi avec la réalité de leur contexte de production. La          construction du sens dans une chanson est donc le fruit d’un dialogue          polyphonique : 
 
 " meaning is always both socially and historically situated,          and generically specific. Heteroglot networks of discursive conventions          resulting form never-ending, historically contingent exchanges create          a kind of giant intertextuality, operating both between utterances, texts,          styles, genres and social groups, and within individual examples of each.” (Le          sens est toujours situé dans un contexte social et historique spécifique.          Les réseaux hétéroglottes – polyphoniques –          des conventions discursives, résultant d’échanges          infinis, historiquement contingents, créent une intertextualité          géante, agissant sur les interprétations, les textes, les          styles, les genres et les groupes sociaux, et sur leurs exemples individuels.)          (Middleton 2000 : 13)
 
 Ainsi, l’échantillonnage sonore et discursif, en tant que          procédé intertextuel, constitue l’ethos du hip hop,          bien sûr, mais aussi, à des degrés différents,          des autres genres des musiques amplifiées. La multiplicité          dialogique des originaux et de leurs reprises conforme l’intertextualité          géante de Middleton mais aussi l’intertextualité discursive          de Barthes s’entrecroisant dans la fusion sémiologique de          la chanson. Le texte et le hors-texte, les musiques, les littératures,          les manifestations artistiques, populaires et élevées, puis          les instances du réel sont interpellés dans le processus          de création et de réception d’une chanson. L’intertextualité          sous-tend donc les musiques amplifiées comme vecteur de création          de sens, aussi bien dans le processus de composition et d’écriture          que dans le processus de reconnaissance et d’interprétation.
[1] Pour une analyse des enjeux de la technologie dans l’évolution de la musique, voir notamment Capturing sound: how technology has changad music, de Mark Katz (2004).
[2] Sur le terme sampling, voir l'article                de Tellef Kvifte "Digital Sampling and Analogue Aesthetics"                (Kvifte: 2007), où il en propose quatre acceptions :                
 
 a) la conversion d'un son analogique en son numérique, 
 b) l'imitation d'un instrument par un autre instrument ; 
 c) l’intégration d’enregistrements préexistants dans un nouvel enregistrement                sous forme de citation sonore ; 
 d) l'emploi des platines o de l’édition musicale pour améliorer                les enregistrements en studio ou pour éliminer des erreurs.                L’échantillonnage du hip hop correspondrait au type (c).
[3] Notamment Christian Béthune (1999), Richard Shusterman (1991) et Russel A. Potter (1995).
[4] IAM (1991). " IAM Concept ".
[5] IAM (1991). " Planète Mars ".
[6] IAM (1991). " Red, black and green ".
[7] MC Solaar (1991). " Quartier nord ".
[8] IAM (1991). " La tension monte ".
[9] Ministère AMER (1997). " Brigitte, femme de flic ".
[10] Ministère AMER (1997). " Damnés ".
[11] MC Solaar (1991). " Qui sème le vent récolte le tempo ".
[12] NTM (1993). " Pour un nouveau massacre "
[13] Assassin (1995). " Quand j’étais petit ".
[14] IAM (1993). " Bang bang ".
[15] Ministère AMER (1995). " Sacrifice de poulet ".
[16] Ministère AMER (1997). " Plus vite que les balles ".
[17] IAM (1993). " Attentat II ".
